Consultation sur l’EIRL

 

Consultation du cabinet Latournerie Wolfrom & Associés
Pierre Lafarge / Antonin Cubertafond
Réf. : EIRL et responsabilité professionnelle
Date : 26 octobre 2010
Suite à l’adoption par la loi n°2010-658 du 15 juin 2010 du nouveau statut d’entrepreneur individuel à responsabilité limitée (EIRL), vous nous avez interrogés sur le régime juridique applicable à l’expert comptable ayant opté pour le statut d’EIRL1 dans l’hypothèse de la mise en jeu de sa responsabilité professionnelle2 ou en cas de survenance de difficultés financières.
1- Dispositions applicables à l’EIRL en cas de difficultés financières

Nous sommes toujours dans l’attente de dispositions spécifiques relatives au traitement des difficultés financières rencontrées par l’EIRL.
L’article 8 de la loi n°2010-658 du 15 juin 2010 autorise en effet le Gouvernement à prendre par voie d’ordonnance, au plus tard le 15 décembre 2010, les dispositions nécessaires pour adapter au nouveau statut de l’EIRL, les dispositions du livre VI du Code de commerce relatives à la prévention et au traitement des difficultés des entreprises et aux responsabilités et sanctions encourues par l’entrepreneur à cette occasion.
En conséquence à ce stade, nous ne sommes pas en mesure de répondre à votre interrogation concernant les dispositions applicables à l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée en cas de difficultés financières.
1 Concernant les professions dites réglementées, et notamment les experts-comptables, si la loi n’interdit pas aux personnes exerçant ces professions, à titre individuel ou en société en participation, d’adopter le statut de l’EIRL, il conviendra, le cas échéant, que les ordres professionnels déterminent les conditions auxquelles ce nouveau statut peut être choisi. Nous n’avons pas connaissance de la position de l’Ordre des experts-comptables sur ce point.
2 Pour mémoire, l’article 17 de l’ordonnance du 19 septembre 1945 dispose que les experts-comptables sont tenus de souscrire un contrat d’assurance pour garantir la responsabilité civile qu’ils peuvent encourir en raison de l’ensemble de leurs travaux et activités et que lorsque les conséquences pécuniaires de la responsabilité civile encourue par les experts-comptables à raison des travaux et activités qui y sont mentionnés ne sont pas couvertes par un tel contrat, elles sont garanties par un contrat d’assurance souscrit par le conseil supérieur de l’ordre au profit de qui il appartiendra. A notre sens, l’expert-comptable ayant adopté le statut de l’EIRL sera également tenu de ces obligations d’assurance.
2
Nous vous précisons par ailleurs que le dispositif de l’EIRL n’entrera en vigueur qu’à compter de la publication de cette ordonnance et que des décrets d’application de la loi doivent également être publiés.
2- Les conséquences de la mise en jeu de la responsabilité professionnelle d’un entrepreneur individuel à responsabilité limitée

Concernant la mise en jeu de cette responsabilité, nous pouvons vous apporter les précisions suivantes :
a- Principe de l’affectation et de la limitation du droit de gage du créancier de l’entrepreneur
L’adoption du statut d’EIRL par une personne physique permet à celle-ci, en application de l’article L.526-6 du Code de commerce, d’affecter à son activité professionnelle un patrimoine professionnel séparé de son patrimoine personnel3.
Le patrimoine professionnel de l’EIRL est constitué :
• Obligatoirement des biens nécessaires à son activité professionnelle, et
• Facultativement, à son choix, des biens utilisés pour l’exercice de son activité professionnelle.
En conséquence, les créanciers dont les droits sont nés
(i) postérieurement à la déclaration d’affectation, qui emporte constitution du patrimoine d’affectation4, et
(ii) à l’occasion de l’exercice de l’activité professionnelle5 de l’EIRL,
disposent d’un droit de gage6 sur les seuls biens de l’entrepreneur individuel figurant dans son patrimoine d’affectation (le patrimoine professionnel) et ne peuvent pas poursuivre l’entrepreneur sur son patrimoine personnel sous réserves des dispositions particulières relatives aux créances fiscales et sociales.
(3) L’adoption du statut et en conséquence la constitution du patrimoine affecté résulte d’une déclaration d’affectation effectuée à un registre de publicité légale auquel l’entrepreneur individuel est tenu de s’immatriculer qui précise notamment l’objet de l’activité, les biens affectés ainsi que l’évaluation de ces biens (article L.526-7 du Code de commerce).
(4) L’affectation du patrimoine professionnel sera également opposable aux créanciers antérieurs expressément visés dans la déclaration d’affectation et sous réserve de leur information préalable et de leur droit d’opposition à ce que cette affectation leur soit applicable (article L.526-12 alinéas 2 et s. du Code de commerce).
(5) Par analogie avec l’appréciation fiscale de l’activité professionnelle, celle-ci s’entend des opérations qui se rattachent à l’exploitation d’une entreprise, à l’exercice d’une profession.
(6 )Le droit de gage s’entend du droit d’un créancier, en vue de son paiement, de poursuivre le débiteur sur tel ou tel bien appartenant audit débiteur.
Réciproquement, un créancier dont les droits ne seraient pas nés à l’occasion de l’activité professionnelle ne pourra poursuivre l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée que sur ses seuls biens non affectés (article L.526-12 2° du Code de commerce).
Ainsi et à titre de principe, dans l’hypothèse où la responsabilité professionnelle d’un entrepreneur individuel ayant opté pour le statut de l’EIRL, serait engagée par un tiers au titre de son activité professionnelle, le tiers ne pourra poursuivre l’entrepreneur individuel que sur les biens affectés à cette activité (article L.526-12 du Code de commerce).
b- Exceptions légales à la limitation du droit de gage au patrimoine affecté
Néanmoins dans certaines hypothèses, la loi prévoit une remise en cause de la séparation entre le patrimoine personnel (non affecté) et le patrimoine professionnel (affecté) de sorte que les créanciers au titre de l’activité professionnelle peuvent poursuivre l’entrepreneur individuel sur tout ou partie de son patrimoine affecté et non-affecté.
Ainsi :
– En cas de fraude, l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée est responsable sur la totalité de ses biens affectés et non affectés (article L.526-12 du Code de commerce). La fraude pourrait, par exemple, être retenue si l’entrepreneur adopte le statut de l’EIRL dans l’unique but de limiter le droit d’un créancier antérieur ;
– En cas de manquement grave aux règles prévues à l’article L.526-6 alinéa 2 du Code de commerce (détermination des biens devant être affectés) ou aux obligations prévues par l’article L.526-13 du Code de commerce (obligations comptables), l’entrepreneur individuel est responsable sur la totalité de ses biens affectés et non affectés.
On relèvera néanmoins qu’il appartiendra aux juridictions de déterminer les critères permettant de qualifier un manquement de grave et non de simple manquement ;
– En cas de surévaluation par l’entrepreneur des biens affectés, il sera possible de poursuivre l’entrepreneur individuel sur son patrimoine non-affecté, pour une durée de 5 ans, sur la différence entre la valeur déclarée pour ledit bien et sa valeur réelle (en absence d’évaluation par un tiers) ou sur la différence entre la valeur déclarée pour ledit bien et sa valeur expertisée (en cas d’évaluation par un tiers).
Par ailleurs, la doctrine attire l’attention sur la lourdeur du formalisme lié à la création du patrimoine d’affectation et au fonctionnement du régime de l’EIRL (déclaration d’affectation, actualisation, règles comptables). Le non respect de ce formalisme est sanctionné par une plus ou moins grande opposabilité de l’affectation aux créanciers. Ces derniers semblent ainsi pouvoir disposer de moyens juridiques afin de poursuivre l’entrepreneur non seulement sur
son patrimoine affecté mais également sur son patrimoine non-affecté pourtant, en principe, protégé.
A titre d’exemple, si l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée décrit de manière imprécise l’objet de son activité professionnelle, le créancier pourrait arguer que certains biens nécessaires à cette activité n’ont pas été affectés à son patrimoine professionnel ce qui constituerait un manquement aux règles de l’EIRL et entrainerait, dans l’hypothèse où la jurisprudence qualifierait ce manquement de grave, une responsabilité de l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée sur ses biens tant professionnels que personnels.
c- Autres exceptions envisageables à la limitation du droit de gage

On peut, en premier lieu, s’interroger, par analogie avec la situation du mandataire social, sur la remise en cause de la limitation du droit de gage du créancier professionnel sur le seul patrimoine d’affectation lorsque l’EIRL commettra une faute grave le plaçant en dehors de l’exercice normal de son activité professionnelle.
En effet, lorsque le dirigeant d’une société commet une faute « personnelle séparable des fonctions », cette dernière engage la responsabilité personnelle du dirigeant vis-à-vis des tiers et le prive ainsi de l’écran de la personnalité morale, de sorte que le dirigeant est susceptible d’être poursuivi sur son patrimoine personnel.
La faute séparable des fonctions n’est pas définie légalement, la jurisprudence fait référence à une « faute personnelle extérieure à l’activité de représentation » ou encore à une faute « faute d’une particulière gravité incompatible avec l’exercice normal des fonctions sociales » et apprécie au cas par cas si la faute peut être qualifiée de séparable ou non.
Il appartiendra à la jurisprudence de déterminer si et dans quelles circonstances, la faute de l’EIRL permettrait de remettre en cause la dissociation entre le patrimoine d’affectation et le patrimoine personnel et permettrait alors au créancier de l’entrepreneur fautif de le poursuivre sur l’intégralité de son patrimoine.
Cette incertitude, quant à l’effectivité de la dissociation entre le patrimoine affecté et celui non affecté, devra être prise en compte par la personne physique voulant adopter le statut d’EIRL.
En second lieu, et par analogie avec les règles applicables au gérant de l’EURL, on peut s’interroger sur la reconstitution d’un patrimoine unique de l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée en cas de commission par l’entrepreneur d’une faute de gestion. En effet, dans le cadre de l’EURL, le gérant associé unique, s’il commet une faute de gestion ayant entrainé une insuffisance d’actif, se voit mettre à sa charge personnelle tout ou partie du passif social. Dans une situation comparable, il est envisageable que la séparation du patrimoine de l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée ne soit pas opposable au créancier.
L’ordonnance, devant être publiée prochainement, apportera probablement des premiers éléments de réponse quant aux conséquences de la commission par l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée d’une faute de gestion ayant conduit à une insuffisance d’actifs.
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En conclusion, si le principe de la séparation du patrimoine personnel de celui professionnel est, en apparence, forte, les dispositions du Code de commerce applicables à l’EIRL permettent au créancier de contester, dans certaines hypothèses légales, l’effectivité de la séparation du patrimoine et ainsi lui permettre de poursuivre l’entrepreneur, notamment au titre de la mise en jeu de la responsabilité professionnelle, tant sur son patrimoine affecté (professionnel) que sur celui non affecté (personnel).
Avant la publication de l’ordonnance relative à l’adaptation des dispositions relatives aux difficultés des entreprises à l’EIRL, il apparait également que le nouveau statut créé comporte de nombreuses incertitudes quant à l’effectivité de la séparation entre le patrimoine affecté et celui non affecté notamment au regard des hypothèses de faute de gestion ou de faute personnelle d’une particulière gravité. La seule publication de cette ordonnance ne permettra néanmoins pas de résoudre toutes les incertitudes pesant sur ce régime.

 

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